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Name of Publishing House | fayard |
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website | http://www.fayard.fr/ |
Communication | rights@editions-fayard.fr |
HISTORIQUE
Une personne morale a aussi droit à sa biographie, surtout quand elle mêle si étroitement le destin professionnel et souvent privé de celles et ceux qui l’ont fait naître et grandir : dirigeants et actionnaires, mais aussi auteurs, collaborateurs, directeurs de collection, au milieu de l’ample chœur anonyme de la critique, de la librairie et du public.
L’histoire commence au début de juillet 1857. Cette année-là, Auguste Poulet-Malassis édite Les Fleurs du Mal et Flaubert a maille à partir avec la justice à cause de Madame Bovary. Le chansonnier Béranger vient de mourir à Paris. Une foule immense et émue assiste à ses obsèques. Parmi elle, un garçon d’une vingtaine d’années. Sur son visage, on ne lit guère d’émotion ; plutôt une intense curiosité.
Les jours suivants, ce jeune employé au ministère des Finances visite les librairies et demande des œuvres de Béranger. Neuf fois sur dix, on lui répond qu’on ne les a pas en magasin. Quand d’aventure il en découvre un exemplaire, il trouve le prix exorbitant, non pour lui-même, mais pour la multitude de Français qui, à l’époque, fredonnent ces chansons et les recopient en se les passant les uns aux autres, faute de pouvoir les acheter.
Quatre siècles après Gutenberg, le livre imprimé était encore souvent rare et cher. Le rendre disponible et accessible à tous : tel sera le but premier que se fixera bientôt notre éditeur en herbe, puis son fils prénommé, comme lui, Arthème.
Natif du Puy de Dôme, petit-fils de notaire, neveu de curé, Arthème Fayard avait débarqué d’Auvergne à Paris depuis quelques mois. Son travail aux Finances ne le passionnait guère. Il s’en alla voir un, deux, trois imprimeurs. Quelques semaines plus tard, il pouvait feuilleter avec satisfaction une brochure intitulée Chansons de Béranger, premier fascicule ; le prix était marqué sur la couverture : cinq centimes. S’y trouvait également mentionné le nom du nouvel éditeur.
Sans apporter la fortune, les Chansons se vendirent bien. Le jeune créateur d’entreprise ne démarrait pas sur un échec. Il installa son siège social au 31, rue de Beaune. L’attention du public convergeant alors sur l’Italie, il publia des Mémoires authentiques sur Garibaldi et une Italie contemporaine.
Les volumes suivants portent mention d’une rue aujourd’hui disparue, la rue des Noyers, qui se trouvait en contrebas du boulevard Saint-Germain, au-delà du boulevard Saint-Michel. Le mince catalogue de Fayard s’agrandit dès cette époque d’une Histoire de la Famille Bonaparte et d’une Histoire de Napoléon Ier. S’y ajoutent des Œuvres complètes de Corneille, Molière, Racine, mais aussi bien un Atlas de la France, des chroniques sur les Grands Procès d’Assises ou une encyclopédie économique et rurale. L’éclectisme que révèlent ces choix montre que l’éditeur débutant n’entend pas se spécialiser, mais que sa stratégie est avant tout d’ordre commercial : il souhaite vendre beaucoup et à bon marché, toucher un vaste public en mettant le livre à la portée des bourses modestes. A l’époque, l’idée d’un commerce de masse tempérant la faiblesse de ses marges par le volume de ses ventes était peu répandue et passait même pour tout à fait saugrenue. Un siècle plus tard, elle sera entrée dans les mœurs avec l’essor de la grande distribution et, dans le domaine de l’édition, avec le développement parallèle du livre de poche et des clubs de livres à prix réduit.
Eclectique, Arthème Ier s’intéressait à tout : ses familiers l’appelaient ” L’Encyclopédie “. Ayant fait son service comme garde national, il se maria, fonda une famille, mais subit de plein fouet l’Année terrible et dut pratiquement repartir de zéro. On retrouve la librairie transférée huit ans plus tard boulevard Saint-Michel, au numéro 78. Outre divers ouvrages historiques, il publia des romans populaires en livraison à cinq ou dix centimes, dont La Porteuse de pain de Xavier de Montépin, qui fut sans doute pour le lecteur du siècle passé l’équivalent d’Autant en emporte le vent, ou de La Bicyclette bleue pour celui du XXe siècle.
A contempler les dernières lignes de ses bilans annuels, Arthème Ier pouvait être content de lui. L’instinct du provincial lui conseilla alors de placer dans la terre et la pierre. Ce qu’il fit en acquérant des parcelles dans Paris et ses environs, notamment rue du Saint-Gothard où il fit construire un magasin pour y entreposer ses publications.
Parmi ses enfants, le dénommé Arthème, ou Arthème le second, qui deviendra le Grand Arthème Fayard, l’un des plus fameux et puissants éditeurs français de la première moitié du XXe siècle, était devenu un adolescent qui faisait ses études à Louis le Grand où il se lia avec un joyeux luron de son âge, Léon Daudet. Après qu’il eut fait son service militaire, son père l’engagea comme collaborateur et associé. Les initiatives du fils donnaient parfois lieu à des heurts et à des éclats avec le père, mais elles n’étaient pas forcément des plus mauvaises.
Un jour, sans consulter personne, il alla trouver Alphonse Daudet, père de son ami, et, lui remontrant que son œuvre méritait d’être lue par tous les Français, il lui offrit de l’éditer en fascicules à cinq centimes. Daudet s’étant enquis du feu vert d’Arthème senior, Arthème junior répliqua qu’en cas de refus de ce dernier, il ferait l’affaire tout seul. Séduit par cette fougue, l’illustre auteur de Numa Roumestan accepta. Quelques semaines plus tard, les rayons des librairies et les paniers des colporteurs débordaient de fascicules des Œuvres complètes d’Alphonse Daudet. L’idée de l’édition populaire d’auteurs vivants, telle que la reprendront au siècle suivant clubs et collections au format de poche, était née.
Arthème le fondateur mourut en 1895. Son successeur, comprenant les enjeux de l’édition dite de grande diffusion dont son père avait été le précurseur, souhaitait développer cette ambition sur une beaucoup plus vaste échelle. Encore fallait-il pouvoir engager dans l’aventure un capital important. Il s’acharna donc plusieurs années à faire prospérer son affaire, rachetant au passage le fonds Dentu, une maison centenaire, et peaufinant l’idée de ce qui allait devenir la ” Modern’ Bibliothèque “.
L’idée était simple : les gloires littéraires de l’époque, Maurice Barrès, Marcel Prévost, Paul Bourget, Henry Bordeaux paraissaient en volumes à plus de trois francs. La grande littérature demeurait inabordable pour le grand public. Le projet consistait donc à publier les grands contemporains en volumes à dix-neuf sous, mais pas au rabais, sous forme de vrais livres, élégants et illustrés. Ces auteurs fameux ne se vendaient alors qu’à quelques milliers d’exemplaires ; Fayard leur proposait de les tirer à cent mille. D’abord sceptiques ou effrayés, bientôt la plupart acquiescèrent.
Le succès fut foudroyant. La cote des cent mille exemplaires se trouva dépassée pour chaque titre et les ventes grimpaient toujours. Barrès ne voulait pas croire qu’il eût dépassé, lui, les trois cent mille : cela ne s’était jamais vu.
Cette réussite dans le domaine littéraire ne devait pas faire oublier à Arthème junior ce que la prospérité de la maison devait au feuilleton populaire. Un an plus tard, en 1905, il lança une collection intitulée simplement ” Le Livre populaire “, inaugurée par un roman de Charles Mérouvel dont le titre, Chaste et Flétrie, ne déparerait pas la couverture de l’équivalent actuel de cette série, la collection ” Harlequin ” aux vingt millions d’exemplaires vendus encore annuellement. Du fait du prix extrêmement bas, le premier tirage de cent mille exemplaires se trouva épuisé en une journée.
Le très large public, déjà fidèle aux feuilletons publiés dans le Petit Journal à un sou, se rua sur les ouvrages de Xavier de Montépin (sa Porteuse de pain se revendit à plus d’un million d’exemplaires), de Paul Féval ou de Michel Zévaco. Dans cette collection, la série des Fantômas de Souvestre et Allain dépassera les cinq millions d’exemplaires.
L’entrepreneur ignore plus souvent que le politique ou le militaire la maxime où se trouve rappelée la proximité du Capitole et de la roche Tarpéienne. Chez lui, le succès est le meilleur des stimulants, et son action roborative sur l’inventivité de son bénéficiaire tend plutôt à le conduire vers de nouveaux succès.
Un jour, Arthème, qu’il ne convient plus d’appeler junior, mais le Grand, passe par Epinal et y remarque la curiosité locale : les fameuses images. Il les adapte au goût du jour et les diffuse dans La Jeunesse illustrée, puis Les Belles Images, ajoutant le peuple des enfants à sa déjà très large clientèle.
Un autre jour, il voit un écolier peiner à recopier des extraits d’auteurs classiques dans des livres de bibliothèque que ses parents refusent de lui laisser emporter à l’école. Il lance la collection de petits classiques scolaires ” Les Meilleurs livres “, à dix centimes, dont les titres vont de Homère à Hugo. Pas un étudiant de la première moitié de ce siècle qui n’ait appris un texte ou cherché une traduction grecque ou latine dans un de ces petits volumes.
Un soir que l’éditeur recevait à sa table un académicien dont on n’a point retenu le nom, Eugène, le fidèle valet, vint, tout en lui présentant un plat, avertir son maître que l’entrepôt de la rue du Saint-Gothard était en flammes. L’incendie dura trois jours. Mais la firme était déjà assez solide pour subir sans broncher un pareil sinistre. Arthème profita du désastre pour faire reconstruire un immeuble moderne où il installa ses bureaux.
Au fronton de cet immeuble vint s’inscrire une nouvelle raison sociale : Arthème Fayard et Cie. ” Et Cie ” désignait deux personnes : Fernand Brouty, qui allait devenir le gendre de l’éditeur et assurait déjà la direction administrative de l’entreprise ; et Lucien Tisserand, entré à quatorze ans chez Fayard père et qui avait continué à mettre son génie méticuleux, discret et efficace au service du fils dans la gestion quotidienne de son affaire.
Mais le nom du plus précieux des associés et collaborateurs d’Arthème le Grand n’était pas inscrit dans la raison sociale. C’était une femme, et c’était la sienne. Née Louise Pattin, c’est elle qui étendit et affina son ambition et le conduisit à devenir non seulement l’éditeur, mais l’ami de beaucoup des plus grands écrivains de son temps.
Le père de madame Fayard avait été notaire dans la Meuse. A la tête de l’étude lui succéda un certain Maître Gaxotte, lequel avait un fils prénommé Pierre, venu préparer Normale supérieure à Louis le Grand. Arthème et son épouse devinrent à Paris les correspondants du garçon. C’est ainsi que, malgré la différence d’âge, le petit-fils du notaire auvergnat et le fils du notaire lorrain devinrent une paire d’inséparables amis.
La période de la Grande Guerre paraît creuser un vide dans la série ininterrompue d’innovations de l’éditeur. En fait, il commet une infidélité à sa maison en prenant la direction d’un journal qu’il n’a pas créé : L’Excelsior. Mais on comprend la fascination exercée sur cet esprit moderne par le premier journal quotidien reposant sur une illustration photographique abondante et en grandes dimensions, ancêtre du France Soir de Pierre Lazareff.
En 1921, retour à l’édition avec Les Œuvres Libres, sorte de préfiguration du Reader’s Digest, à ceci près que ces recueils publient des textes plutôt littéraires, inédits et non condensés.
Un jour, Arthème le Grand suggère à l’un de ses auteurs, Jacques Bainville :
- Vous devriez écrire pour moi une Histoire de France en un volume.
- Mais je ne la connais pas. En tout cas, pas assez pour l’écrire.
- Eh bien, apprenez-la !
Le rédacteur de politique étrangère de L’Action française finit par rédiger le tome qui fut le premier de la série des “Grandes Etudes historiques “, collection dirigée par Pierre Gaxotte. Un employé de la maison calcula en 1947 qu’en empilant les deux millions et demi d’exemplaires de cette collection vendus jusqu’à cette année-là, on aurait atteint vingt fois l’altitude du Mont-Blanc. On n’a pas refait le calcul depuis lors, mais on peut supposer que le remplacement du Mont-Blanc par l’Everest ne serait pas exagéré.
L’année 1924 qui vit la naissance des Grandes Etudes historiques fut également celle de l’apparition du Livre de Demain et de Candide.
Le Livre de Demain procédait du même constat et de la même conception que la Modern’ Bibliothèque : le livre sur beau papier, illustré par des artistes célèbres, est alors inaccessible à la grande masse des lecteurs. Un seul moyen d’y remédier : les gros tirages. Deux générations de lecteurs de cette collection n’oublieront pas ces fameux volumes à couverture jaune – les professionnels disent à couverture tango -, au papier si agréable au toucher, à la typographie si agréable à l’œil, avec des bois gravés d’inspiration si moderne. Le succès fut total.
Candide, ” l’hebdomadaire parisien et littéraire “, fut en vérité plus qu’un journal : le reflet et l’expression d’une époque. Ce fut certainement la création la plus originale du Grand Arthème. On chercherait en vain, aujourd’hui, un hebdomadaire semblable, contenant de très nombreuses pages de vraie littérature et tirant à plus de quatre cent mille exemplaires. A sa rédaction, Fayard n’avait imposé qu’une seule règle, mais une règle de fer : ” Pas un seul article ennuyeux !”
Outre le dessin hebdomadaire de deux maîtres du crayon, Sennep et Abel Faivre, on trouvait dans Candide une page entière de dessins humoristiques. La faveur qu’ils rencontrèrent incita Fayard à créer un hebdomadaire contenant plusieurs grandes pages de ces dessins. Ainsi naquit en 1927, avec Ric et Rac, le prototype de ces journaux qui fleurirent plus tard sous le titre d’Ici Paris ou du Hérisson, et où s’illustrèrent, du tendre au cocasse ou au féroce, les Peynet et les Dubout.
C’est au cours de cette période faste, entre les deux guerres, que Charles Dillon, responsable des collections populaires, confia un jour à Arthème : ” Parmi nos jeunes auteurs, il y en a un qui a un je ne sais quoi de différent… Il s’appelle Christian Brulls. Il signe aussi Georges Sim “.
Ce Belge s’appelait en fait Georges Simenon. Après avoir donné chez Fayard un certain nombre de récits populaires, il demanda à voir le patron et lui confia son désir d’écrire des romans policiers. Arthème suggéra qu’il en apportât un. Simenon répondit qu’il lui en apporterait quatre, afin que l’éditeur pût les sortir ensemble et lancer ainsi sa collection.
Ces quatre premiers romans de Simenon étaient Le Pendu de Saint-Phollien, Monsieur Gallet décédé, Le Charretier de la Providence et Le Chien jaune.
Arthème ne lésina pas : le lancement parisien de Simenon consista dans un grand ” Bal anthropométrique ” où les garçons étaient déguisés en bagnards et où les invités devaient se laisser prendre les empreintes digitales à l’entrée.
Les publications d’Arthème Fayard couvraient à présent presque tout l’éventail de la production imprimée. Mais ce nationaliste convaincu était aussi ouvert au monde. C’est pour marquer cette ouverture qu’il prit ses deux dernières initiatives : la création d’une collection de littérature étrangère, ” Univers “, dont les deux premiers titres furent La Montagne magique de Thomas Mann et Une Tragédie américaine de Theodore Dreiser ; et un hebdomadaire d’information internationale qu’il baptisa comme de juste Je suis partout, mais qui allait dériver rapidement de sa vocation initiale après que Fayard l’eut vendu en 1939.
La montée des périls en Europe coïncida avec les premiers signes de fatigue et de maladie du géant de l’édition. Arthème le Grand mourut le 30 novembre 1936, laissant la direction de la maison – il faudrait presque dire du ” groupe ” – à Jean Fayard et à Fernand Brouty, assistés de Pierre Gaxotte.
La guerre, puis l’occupation, pour une grande maison d’édition qui au surplus publie des journaux, c’est le risque de paralysie, de disparition ou d’asservissement. A l’époque où un Bernard Grasset ou un Robert Denoël collaborent, où un Gaston Gallimard louvoie, les nouveaux responsables tentent de sauver les meubles : Brouty et Gaxotte, repliés à Clermont-Ferrand, continuent d’y faire paraître Candide et Ric et Rac ; Jean Fayard, démobilisé, tente à Paris de maintenir à flot l’édition en s’ingéniant à trouver un papier introuvable. Il y réussit et crée même plusieurs collections nouvelles, notamment ” Géographie pour tous ” et ” Connaissance de l’Histoire “.
Les lendemains de la Libération marquèrent pour la profession une période de grande confusion : inflation de la production après les sombres années de censure et d’autocensure, dumping, surgissement de nouvelles maisons, certaines nées de la Résistance et promises à un bel avenir comme les Editions de Minuit et les Editions du Seuil. De vieilles maisons, ébranlées, périclitèrent. Fayard fit mieux que tenir. C’est à cette époque qu’imitant Arthème le Grand lorsqu’il avait incité Bainville à écrire une Histoire de France, Jean Fayard suggéra à Daniel-Rops, jusque-là principalement romancier, d’écrire une Histoire sainte. Le résultat fut un succès foudroyant qui entraîna la création d’un nouveau secteur d’activité au sein de la Librairie avec la naissance de la revue Ecclesia, puis de collections comme ” Le Livre chrétien “, la ” Bibliothèque Ecclesia “, ” Je sais – Je crois “. La tradition du roman populaire s’alimenta en œuvres de Georges Blond et de Pierre Nord, tandis que Pierre Gaxotte reprenait la direction des Grandes Etudes historiques, et qu’un siècle après ” L’Encyclopédie économique et rurale ” paraissait, au moment même où se développait la presse magazine à destination des femmes nouvellement admises dans le suffrage universel, une ” Elle encyclopédie ” traitant non plus seulement de recettes de cuisine et de savoir-vivre, mais d’accouchement sans douleur et de diététique.
En 1956, pour son centenaire, la Librairie Arthème Fayard devient société anonyme et porte à sa direction générale Gabriel Forest. En 1958, la Librairie Hachette prend une participation majoritaire dans son capital et transfère le siège social de la société rue Casimir Delavigne, puis 75 rue des Saints-Pères, à quelques mètres de l’Institut d’Etudes politiques où la maison trouvera nombre de ses lecteurs fidèles et beaucoup de ses auteurs.
Différentes figures de l’édition se succédèrent alors à la tête de la nouvelle filiale d’Hachette : Maurice Dumoncel, fils de Rémi Dumoncel qui fut résistant et a dans Paris sa rue où se situait le siège de la Librairie Tallandier qu’il dirigea et qui publia notamment la revue Historia ; Guy Schoeller, bien connu des patrons de presse pour avoir dirigé Femmes d’aujourd’hui, et des lecteurs de cette presse pour avoir été un temps marié à Françoise Sagan, mais beaucoup plus connu et reconnu aujourd’hui comme le créateur de la fameuse collection Bouquins dont l’ambition d’être la ” Pléiade ” des bourses plates n’aurait pas déplu à nos deux Arthème ; Charles Orengo, venu de la Librairie Plon, personnalité munificente, prodigue en projets prestigieux, prompt aux enchères, mais doué d’une intuition peu commune ; Alex Grall, qui avait été successivement directeur de Denoël, où il avait publié Le Défi américain de Jean-Jacques Servan-Schreiber, puis du département d’Hachette Littérature ; compagnon de Françoise Giroud, secrétaire d’Etat à la Condition féminine nommée par Valéry Giscard d’Estaing, il publia successivement Démocratie française, du Président lui-même, qui allait dépasser le million d’exemplaires, et, après ses expériences ministérielles, La Comédie du pouvoir de celle qui avait été si longtemps l’infatigable confectionneuse de L’Express aux côtés de J.J.S.S.
Vers la même époque, deux ouvrages au triomphe non annoncé allaient faire longuement parler d’eux : publié au cœur de l’été 1973 à l’occasion d’un voyage du Président Pompidou en Chine, Quand la Chine s’éveillera, d’Alain Peyrefitte, figura près de deux ans sur les listes des meilleures ventes et frôla lui aussi le million d’exemplaires, cependant qu’un contrat signé par Orengo peu avant sa mort, honoré à contrecœur par son successeur, allait non seulement être à l’origine d’un énorme succès de librairie, mais déterminer la renaissance du secteur des études historiques chez Fayard : je veux parler de la biographie de Louis XI par l’historien américain Paul Murray Kendall.
Les deux Arthème avaient régné sur la maison pendant soixante-dix-neuf ans. Les quatre derniers responsables de la société anonyme filiale d’Hachette exercèrent à eux quatre pendant dix-huit ans. Une grande maison a besoin de constance et de continuité dans sa ligne éditoriale ; dans notre verger, certains fruits sont longs à mûrir, et une longue préparation du terreau est nécessaire à l’acclimatation des plus beaux plants, puis aux plus prometteuses récoltes.
Pour les vingt-sept années qui suivent, durant lesquelles j’ai eu le privilège et le plaisir de présider aux destinées de cette maison, l’histoire ne peut que céder le pas au témoignage personnel.
En 1980, l’actionnariat d’Hachette est très dispersé ; Paribas, l’actionnaire de référence, ne possède guère plus de 4% du capital. Au cours de la décennie écoulée, le groupe s’est doté d’une logistique de distribution qui fait encore aujourd’hui l’admiration, mais a manqué le mariage avec le groupe allemand Bertelsmann dans le projet de grand club de livres qui deviendra France Loisirs ; la presse, notamment France Soir, connaît de grandes difficultés. A Simon Nora succède à la tête du groupe Jacques Marchandise, venu de Péchiney. C’est lui qui devra remettre les clés du groupe à Jean-Luc Lagardère. C’est lui qui, peu auparavant, m’aura fait bénéficier de ce qui fut sans doute une de ses toutes dernières nominations.
Je venais de séjourner deux ans à la direction générale des éditions Grasset, elles aussi établies rue des Saints-Pères, mais plus près du boulevard Saint-Germain, de ses bars et de ses restaurants à la mode. Ce séjour fit sur moi le même effet que la traversée nocturne de Pigalle à un jeune provincial frais émoulu du Petit Séminaire. Les Editions du Seuil, d’où je venais, établies rue Jacob, entre l’église de Saint-Germain et la Seine, avaient, il faut le souligner, une grande réputation d’austérité et de frugalité. Je les avais fréquentées depuis l’âge de 18 ans comme lecteur de manuscrits et comme auteur débutant, j’y étais entré comme salarié à 26 ans et j’avais eu la chance inouïe de m’y occuper, entre autres, de deux des plus grands écrivains du siècle, Alexandre Soljénitsyne et Gabriel Garcia Marquez, l’un et l’autre Prix Nobel.
La Librairie Arthème Fayard telle qu’on la connaît aujourd’hui est comme un fleuve fait des eaux mêlées de son cours originel, déjà assagi, et d’un affluent plus jeune et impétueux, charriant un bric à brac d’apports nouveaux.
La tradition fayardienne servit de tremplin à un essor sans précédent des collections historiques : biographies, essais, études de civilisations, dictionnaires, histoires des villes, ont permis d’ajouter au fonds de la maison, où figuraient déjà certains des premiers ouvrages d’Henri Amouroux, de Jean Favier, de Jean Tulard, de Pierre Chaunu, de François Furet, de René Rémond, de Georgette Elgey, des auteurs aussi considérables que Jean Delumeau, Emmanuel Le Roy Ladurie, Hélène Carrère d’Encausse, Elisabeth Badinter, René Pomeau, Pierre Goubert, Mona Ozouf, Georges Duby, Pierre Grimal, Daniel Roche, Emmanuel de Waresquiel. Quelques correspondances prestigieuses parurent, comme celles de Verlaine et Segalen. Et la collection des biographies littéraires accueillit notamment Montaigne, Molière, Beaumarchais, Hugo, Zola, Rimbaud, Desnos et beaucoup d’autres. Epaulé à ces collections se développa simultanément un secteur de musicologie unique en Europe, sinon au monde. Le département religieux vit s’illustrer l’admirable écrivain que fut André Frossard ainsi que le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI. La littérature populaire d’aujourd’hui trouva à s’épanouir avec des auteurs comme Régine Deforges, Madeleine Chapsal, Max Gallo, Maurice Denuzière, Frédéric et Patrice Dard, Gilles Perrault, Franck et Vautrin, Janine Boissard, Irène Frain et une cohorte de maîtres et de maîtresses du suspense anglais conduite par l’Honorable Phyllis Dorothy James, membre de la Chambre des Lords. Une véritable ouverture aux littératures étrangères permit d’ajouter aux noms de Nabokov et de Thomas Mann ceux de Soljénitsyne, Isabel Allende, Patrick Süskind, Leonardo Sciascia, Juan Goytisolo, Muriel Spark et de mon ami, le grand écrivain albanais, Ismail Kadaré. A ces auteurs prestigieux s’ajoutèrent au fil des ans de très hautes figures internationales comme Henry Kissinger, Anouar El Sadate, Lech Walesa, Shimon Peres, Nelson Mandela, Hillary Clinton ou encore Boutros Boutros-Ghali qui présida aux destinées de la Francophonie. Sans oublier de grands acteurs de la politique française, du Président Valéry Giscard d’Estaing au Président François Mitterrand, d’Edouard Balladur à Alain Peyrefitte, de Robert Badinter à Jacques Attali, Hubert Védrine ou Jean-Pierre Chevènement, et des auteurs de grands documents comme François de Closets, Pierre Péan, Jean Ziegler, Joseph Stiglitz .
A ces aspects de sa croissance relevant en quelque sorte de son patrimoine génétique, la Librairie aura vu s’en greffer de nombreux autres, spécialement dans la riche diversité des sciences humaines avec notamment des travaux de Raymond Boudon, Alain Besançon, Jacques Dupâquier, Michel Crozier, Edgar Morin, Alain Touraine, Georges Balandier, Michel Serres, Julia Kristeva, Pierre Birnbaum, Elisabeth Roudinesco, Ivan Illich, Guy Debord, Noam Chomsky, Pierre Legendre, Pierre-André Taguieff ; un secteur de sciences où publièrent Bernard d’Espagnat, Jean-Pierre Changeux, François Jacob, Yves Coppens, Trinh Xuan Thuan, le professeur Lucien Israël, Frans de Waal, Joël de Rosnay mais aussi un remarquable spécialiste en physique du globe nommé Claude Allègre ; un secteur psychologie avec notamment Marcel Rufo, Thierry Janssen et Sophie Marinopoulos. Plus récemment, son secteur littéraire s’enrichissait de la venue d’écrivains renommés comme Pascal Lainé, Jean-Denis Bredin, Erik Orsenna, Patrick Besson, Michel del Castillo, Michel Houellebecq, Yann Queffélec, Stéphane Denis, Jeanne Champion, Frédéric Vitoux, Alain Dugrand, Benoît Duteurtre, Alain Mabanckou rejoints par une cohorte de plus jeunes talents promis à un bel avenir, comme Claire Castillon, Alexis Salatko, Dominique Fabre, Sylvie Testud, Yasmine Ghata.
Déficitaire en 1980, la maison Fayard a pu réaliser un redressement rapide et renouer avec la profitabilité deux ans après. Depuis cette date, grâce à l’essor de ses collections et à l’effort de départements comme Pauvert, Mazarine et les jeunes éditions Mille et une nuits, sa production a triplé, son chiffre d’affaires s’est trouvé multiplié par six. Pour son cent cinquantième anniversaire, elle se trouve dans un état de santé qui lui permet de continuer à résister aux turbulences et aux menaces que subissent respectivement et tout à la fois la langue française, la civilisation de l’écrit, la pratique de la lecture, l’avenir de l’imprimé et le commerce de la librairie.
Ce cap d’un siècle et demi d’existence, malgré la mondialisation, notre petite entreprise l’aura franchi sans répudier son nom, comme font certaines multinationales qui retrouvent au latin les vertus d’un esperanto. Elle le conservera avec ce qu’il peut avoir à la fois d’un peu désuet pour le prénom et d’arboricole pour le nom. Au demeurant, le hêtre ou fayard est loin d’être le seul végétal à figurer dans les raisons sociales du Livre : voyez les éditions du Chêne, du Sycomore, du Sorbier ou de l’Olivier, etc. Dans cette fréquence, je veux moins voir un rappel de l’origine de la pâte à papier qu’un symbole, celui du perpétuel renouveau des choses de l’esprit dont nous devons, éditeurs, continuer d’être les jardiniers modestes, modernes et attentionnés.
Brève Bibliographie : ” Brève histoire de la Librairie Arthème Fayard ” (opuscule réalisé par certains collaborateurs de la Librairie, 1953) ; ” L’Evolution de la Librairie Arthème Fayard (1857-1936) “, thèse de doctorat soutenue par Sophie Grandjean-Hogg, 1996 ; Histoire générale de l’Edition, tome 3, Cercle de la Librairie/ Fayard, 1990 ; ” Le Commerce de la Librairie en France au XIXe siècle (1789-1914) ” sous la direction de Jean-Yves Mollier, IMEC Editions, 1998.
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